Anna Ternon

Artiste-chercheure
Doctorante SACRe (ENS/PSL)


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Mark
Carrero : maille élémentaire, 2022
Performance, en collaboration avec Côme Clérino
12mn
Vue de la performance du 10 novembre 2022, Galerie Chloé Salgado.

Performeur Sébastien Thill

Captation de la performance

  


Extrait du texte de la performance 
© Anna Ternon


(...)

Moi qui suis sans corps, toi qui est sans voix.

Je découvre le poids de ton corps absent alors que se posent sur moi les fils de chaîne et les fils de trame.

Ouvrir la voie.
Ton corps ancré au sol assure au mien une montée sentinelle.

Équiper ma voix.

J’arpente la roche. J’en suis là. Je frotte le minéral rendu à l’état liquide contre mes paumes. Il s’infiltre et se poudre.
Poudre mes mains.

Tu m’habilles de la matière qui me porte.

Lorsque le glissement des mailles sur ma peau rencontre
une résistance, je comprends que cela provient de la retenue
des souvenirs. Les frottements du tissu ouvrent les pores
de mon épiderme et les petites particules d’un toi transfiguré
se détachent de leur hôte pour se fondre jusqu’au derme profond. Dans l’épaisseur de cette couche, tu oeuvres à l’élaboration
du tissus cicatriciel qui permettra à ma peau d’accueillir
de nouveau minéraux en poussière.


Sec.

Retour au sol.

Je n’ai pas levé la jambe assez haut, mon pied, lancé dans son élan, pensant trouver le sentier qui filait droit, a fendu l’air.

Fendu la paroi
Fendu l’étoffe

Le déséquilibre m’aurait jeté au sol si - dans le vide - je n’avais pas été rattrapée par quelque instinct de survie.

Aujourd’hui je sors toute vêtue de toi.

Je m’habille de la matière qui te porte.

J’aperçois la prochaine prise qui m'invite à la rejoindre :
« si je souhaite toujours vérifier l’élasticité maximale de mes fibres ».

À quoi bon étirer si c’est pour qu’ensuite tout revienne en place ?

Pourtant si je tombe tu risques de t’élever


Je pénètre dans la brèche au risque de me pétrifier.
Je fige devant le miroir de te voir ainsi sur moi.
Je n’ai plus que ma voix sur ton corps resté au sol.

Je m’indure en prenant de l’altitude, d’un piton à l’autre,
en te laissant m’assurer - puisque tout va bien - je m’écarte de toi
à grande enjambées verticales.

J’use ma langue sur un vocabulaire de la préhension pour te dire que
Je réarme

Tu t’agrippes aux dévers de ce que je refuse d’admettre :
Le sommet
Au sommet, ton absence.

Ta présence lourde au sol
Si je gravis c’est, en définitive, pour te placer comme point d’assurage dans la fente d’une roche.
T’isoler de moi qui continuerai à te porter,
contrainte par les circonstances, lorsqu’il s’agira de sortir
bien couverte

D’un bloc.

Accentuer l’évasement des jambes qui m’aide à penser comment, ta main famille, ton bras ami.

Sans tes yeux pour lire ma voie, j’emprunte le raidillon du deuil dans l’espoir qu’un corps que l’on a jamais touché pourrait,
mieux que d’autres étreints, plus facilement s’absorber.


Tu m’a incité à la confusion matérielle.

Depuis, j’ai imaginé aller au-delà du bord à bord.

Depuis, j’ai l’arrogance de penser te transformer en paroi
pour former la corne sur mes mains.

Tu exerces sur moi une pression discontinue, au gré de la marche et du balancement de mes membres en mouvements décalés
l’un de l’autre. C’est à la pliure du bras que tu te loges le mieux. Parfois j’accentue le geste pour que tu t’exprimes d’avantage,
dans un bruissement d’étau. Mes os se joignent à mes muscles pour t’écraser et faire éclore tes vocalises à l’accent tullé, feutré.

La corde se tend et se détend à plusieurs reprises, c’est le signe que j’ai dépassé la fin de la voie et que tu cherches à me rappeler.


Pourquoi aller plus loin?

Comment aller plus loin?


La coutume veut que je ne me retourne pas sur ton corps enveloppé, il y a bien longtemps, dans un linceul sédimentaire.
Un drap cousu de fils confectionnés à partir du calcaire de tes os.

(...)