Anna Ternon

Artiste-chercheure
Doctorante SACRe (ENS/PSL)


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Dans un langage aphonique - 2023
Performance
18mn
Vue de la performance du 19 novembre 2023 à la Gaîté Lyrique, dans le cadre du Festival SACRe.



© Pauline Lequesne


Extrait du texte de la performance
© Anna Ternon


(...)

Il en existe de toutes formes. Des individus solitaires
ou réunis en masses, qui se portent les uns les autres,
comme s’ils essayaient déjà d’apercevoir ce que se confondre
veut dire. On voit se déplacer sur l’asphalte ces énormes rochers en mouvement qui, selon leur composition, prennent tantôt
des allures granitiques, tantôt l’apparence de grès. Ces derniers ont ma préférence. Ils sont tenus les uns aux autres depuis la diagénèse qui les a menés là, brillants aux rayons du soleil ainsi qu’à ceux de l’éclairage public. Ils propagent dans la ville les ondes Alpha qui caractérisent l’état de conscience apaisé du devenir minéral.

Eux n’ont pas besoin comme vous d’un bâton de sourcier
pour trouver le lieu qui les attend. Ce que votre baguette sert
à discerner, ces corps disposés à la minéralité le sentent vibrer
à l’approche de la Tour. Ils savent qu’enfin leur chemin aboutit, quand un phrasé élémentaire les agite, traversant les murs
en béton du bâtiment. La magnétite logée dans les différents espaces de leur cerveau s’exprime en ondes transversales qui cisaillent le milieu. Des éléments en trace qui dialoguent
avec le champ magnétique terrestre.


——

Oxydes de fer, magnésium, zinc, manganèse, nickel, titane, chrome, vanadium, aluminium.

——


Les corps solitaires s’abandonnent moins facilement. Il reste de nombreux jours et de nombreuses nuits tapis à proximité de la Tour pour observer qui entre et, surtout, qui en sort. Au bout de quelque temps, constatant que personne n’apparaît depuis l’intérieur, ils s’élancent et parcourent les dizaines de mètres
qui les séparent de l’entrée. Je les soupçonne de vouloir eux-même se faire prisonniers. De n’avoir espéré que ça : savoir que l’on n’en ressort pas.


——

Nous sommes dans une phase intersismique.

——


Qu’ils soient seuls ou en masses, quand ils passent les portes
de la Tour, tous se dirigent instinctivement vers les escaliers.
De là, s’engage une ascension vers les plateaux calcaires.
Ils grimpent et, marche après marche, le paysage change. D’abord, de vastes étendues de sol en béton souvent irrégulier, laissant apparaître des vestiges de moquettes. Par les fenêtres,
la ville se rappelle à eux : pleine et dense. Mais à mesure qu’ils se hissent, elle les perd. Les dernières à pouvoir témoigner de ces êtres en transition sont la cime des arbres et celle des bâtiments.

La sommation moléculaire se fait plus insistante alors qu’ils prennent de l’altitude. Les minéraux extérieurs excitent ceux au-dedans. Chacun s’appelle désormais dans une mélodie d’outre-temps, eux que l’on pensait essentiellement aphones. Au fur et
à mesure, les meutes se clairsèment. Intuitivement - parce que
la vibration atomique aura été plus pressante à cette altitude -
des corps s’arrêtent à un étage et délaissent celles et ceux
qui continuent l’ascension.


——

Sauriez-vous dialoguer dans un langage aphonique ?

——


Ces singuliers qui n’en peuvent plus de l’être s’allongent au sol,
se plaquent contre les poteaux, forment des angles avec leurs corps depuis l’horizontale jusqu’à la verticale. La peau du visage contre la surface poreuse du sol, leurs bouches entrouvertes laissent s’écouler une eau corporelle à l’odeur chlorée.
D’abord dans un flux continu puis, lorsque la source se tarit,
en goutte à goutte.

(...)